D'mon temps, l'école c'tait aut'chose

Publié le par Sarastro

J'ai lu avec intérêt les deux ouvrages de M. Brighelli sur l'école, intitulés "A bonne école", et "La fabrique du Crétin". M. Brighelli y dénonce la baisse du niveau attendu des élèves, et partant, la baisse de leur niveau, car bien rares sont ceux qui font l'effort de s'instruire en dehors du temps dévolu aux cours.

J'ai beau être jeune, et sortir à peine de cette école dont parle M. Brighelli, je ne pense pas moins qu'il a tout à fait raison sur bien des points. Il écrit par exemple : "les 15% qui avaient le bac il y a 40 ans sont les 15% qui entrent en prépa aujourd'hui". Je ne peux qu'être d'accord avec M. Brighelli. Pour moi, le bac a été une formalité administrative, et je n'ai dû vraiment travailler que 15 jours avant le bac, en option mathématiques en Terminale, et en physique en seconde. En l'occurrence, le professeur était très exigeant, et les notes que j'ai reçues de lui sont à peu près les seules dont je pourrais éventuellement m'enorgueillir. A part ça, le première était un agréable club de vacances pour moi (je vous rassure, les cours étaient bien faits, et correctement enseignés, mais le programme était trooop faciiiile), une grande partie de la seconde et de la Terminale idem. Or, à force de ne pas avoir à travailler, on perd l'habitude de se concentrer pendant de longues périodes et de s'affronter à des problèmes compliqués.

En remontant dans le temps jusqu'au collège, je me dis que ça pouvait aller, sauf en quatrième où j'ai débarqué dans un collège peuplé à 50% d'élèves très mauvais et où j'ai passé mon année à ne pas travailler beaucoup, sauf en latin (j'avais de la concurrence sérieuse dans cette matière). En troisième , j'avais changé de collège, et j'ai passé une année bien plus studieuse, avec des professeurs assez exigeants en français, mathématiques, histoire-géographie et en allemand, qui pouvaient en plus faire leur travail sans risquer de larguer la moitié de la classe. Sans oublier la cinquième, où je n'étais même pas cinquième de la classe. A l'époque, j'habitais en Alsace, et l'endroit où j'étais scolarisé avait l'apparence et l'essence d'un collège de centre-ville bien coté.

Mais cela n'est après tout pas si important. Je n'aurais certainement pas pu me reposer pendant des cours entiers durant le collège et le lycée (se reposer ne signifie pas dormir, mais maintenir une veille qui n'exige pas beaucoup de concentration évidemment) si je n'avais été "à bonne école" au primaire.

Premièrement, je n'ai pas subi les affres de la méthode globale (la chance, j'avais une maîtresse de la vieille école...). J'ai donc appris à lire et à écrire correctement. Par la suite, j'ai beaucoup lu, ce qui me semble indispensable pour acquérir un vocabulaire et une rigueur qui permette de nuancer son expression et sa pensée sans la trahir, toutes qualités qui semblent faire défaut à certains de mes congénères.

Au CM1 et au CM2, la maîtresse nous donnait chaque semaine une interrogation de calcul mental et une dictée. Soit dit en passant, les dictées préparées sont à mon avis de pâles succédanés de la dictée véritable, et amoindrissent les effets bénéfiques de l'exercice. D'ailleurs, pour tous ceux possédant une bonne mémoire, la dictée préparée ne sert sans doute à rien. Il est facile pour eux d'apprendre la dictée en un quart d'heure, de la ressortir le lendemain, et de la laisser s'évaporer de leur mémoire dans les jours qui suivent. Une dictée est utile quand elle permet à un élève de se confronter à des mots ou à des structures nouvelles (à l'époque, je devinais l'accord des participes passés à force de les rencontrer dans mes lectures, sans connaître la règle). Si c'est le professeur qui détaille les difficultés du texte, avant même que l'élève ne se soit avisé qu'il aurait été en mal de les déceler et de les dépasser sans son fidèle chasse-fautes, il y perd. C'est en répétant les dictées contenant d'une part les mêmes difficultés, d'autre part de nouvelles qu'on peut à mon sens apprendre à des élèves comment se comporter face à elles. Quelqu'un qui n'a jamais été en position de devoir réfléchir pour résoudre un problème attendra sans doute toujours qu'un autre réfléchisse à sa place (le maître ne le faisait-il pas à l'école ?).

Quant au calcul mental, je m'en sers toujours, et je peux donner un exemple relativement édifiant de son utilité : en maths spé' (MP), le professeur de mathématiques nous a donné un jour une interrogation dans laquelle il s'agissait de tracer des formes de courbes juste d'après leur formule. Sachez tout de même qu'avec quelques calculs effectués à partir de la formule, on peut se faire rapidement une idée de la forme d'une courbe. Néanmoins, il était absolument interdit d'écrire un seul calcul. Le professeur nous avait expliqué dans des cours précédents comment réussir ce genre d'exercice. Cependant, je n'avais pas retenu le tiers des méthodes qu'il avait proposées. Qu'à cela ne tienne, j'ai fait les calculs de tête, des calculs qui sur une feuille de papier nécessitent habituellement plusieurs étapes pour ne pas se tromper. Résultat : ce fut la seule fois où je dépassai la moyenne en MP. J'ai terminé quatrième ex-aequo. Il y avait pourtant une dizaine de redoublants dans la classe. Et ils n'ont rien à voir avec ces élèves qui redoublaient la cinquième (et qui devraient aujourd'hui la redoubler) de mon temps...

Voilà pour les fondements d'une instruction à peu près correcte. Et voici les limites de l'argumentation de M. Brighelli.

L'auteur des deux livres est visiblement adepte d'une politique de gauche. Fort bien, il y a d'ailleurs une chance sur deux pour que je vote à gauche aux prochaines présidentielles. Néanmoins, je trouve la position de M. Brighelli peu nuancée sur la politique de droite.

Il défend l'idée selon laquelle les chefs d'entreprise et la droite libérale voudraient des travailleurs peu instruits pour éviter qu'ils ne se révoltent contre l'injustice de la tyrannie patronale. J'ai l'impression que c'est très abusif. A mon avis, les chefs d'entreprise veulent tout simplement des travailleurs qui correspondent pile poil au travail qui leur est confié, parce que s'ils sont plus diplômés, il faudra les payer plus cher. Mais si un jour les chefs d'entreprise ont besoin de milliers de philosophes pour remplir des "think-tanks" (littéralement "réservoirs de pensée"), ils chercheront des gens diplômés en philosophie avec bac+5 voire plus, et refuseront peut-être même des gens à bac+4 ! Je pense que les chefs d'entreprise sont plus pragmatiques que vicieux. Mais c'est vrai qu'il existe des entreprises qui cherchent les personnes les moins diplômées possible pour des travaux ingrats.

Les PDG sont avant tout soucieux d'avoir des employés "rapidement opérationnels", ce qui se traduit par : "on veut que dès la fin de leurs études, les personnes qu'on embauche sachent faire leur métier le mieux possible, quitte à réduire le temps d'enseignement de matières ayant un rapport plus lointain avec leur future fonction, pour l'attribuer à l'enseignement plus pratique du métier". Du reste, c'est ce qui se passe aux Etats-Unis. Ce n'est pas pour autant que les Américains ont perdu tout sens critique. Les journaux n'hésitent pas à enquêter jusque dans l'entourage de la Maison Blanche pour dévoiler des scandales qui obligent les coupables présumés à démissionner le plus souvent. Je n'approuve pas le manque d'autocritique des Américains, mais je pense qu'il vient plutôt du nationalisme et du sentiment religieux que de l'enseignement. D'ailleurs, les Français sont loin d'être des professionnels de l'autocritique. Et je parle entre autres de Français qui sont allés à l'école dans les années 60, avant 1968.

Un point tout de même sur lequel je suis d'accord avec M. Brighelli : la vision à court terme des entreprises. Du coup, les jeunes qui se sont lancés dans des études pour un métier qui recrutait il y a trois ans, se retrouvent à la fin de leurs études diplômés pour exercer un métier qui n'embauche plus. Ce problème me semble plus grave dans les filières dites "technologiques". Car je suis dans une école qui risque à terme de voir ses élèves concurrencés par des milliers d'Indiens et de Pakistanais. Mais voilà, les professeurs et l'administration adaptent l'enseignement maison pour que les futurs diplômés aient les compétences qui leur permettront...de superviser le travail des Indiens et des Pakistanais !

M. Brighelli se plaint aussi du non-renouvellement des élites. Les fils de professeur ou de cadres ont en effet toutes les chances de finir en prépa, dans les filières qui recrutent. Je confirme que les classes de prépa Mathématiques contiennent un fort taux de rejetons de professeurs de mathématiques et de professeurs tout court. Mais là où M. Brighelli ne voit qu'une caste cherchant à conserver ses privilèges, je ne vois qu'un communautarisme affreusement commun, du même genre que celui des cheminots qui veulent eux aussi garder leurs privilèges. Le communautarisme commence à l'école, et finit au travail. Il me paraît évident que nul ne comprend mieux les difficultés du métier d'Inspecteur des Impôts ou de plombier qu'un autre Inspecteur des Impôts ou qu'un autre plombier. Or, les gens ont bizarrement tendance à rencontrer sur leur lieu de travail d'autres gens exerçant le même métier qu'eux, et éventuellement ceux des échelons hiérarchiques immédiatement inférieur et supérieur. Des gens donc, qui possèdent pour la plupart des rémunérations et des préoccupations similaires. Alors, dès qu'il arrive une tuile à un ou plusieurs plombiers ou Inspecteurs des Impôts, les autres membres de la profession compatissent plus facilement à ces malheurs que le reste de la population.

Parenthèse : la solidarité n'est une vertu que lorsque les individus qui en participent sont guidés par des considérations justes. La solidarité en elle-même n'est pas une vertu à mon sens, car la compassion ("souffrir avec" en latin) dont elle procède n'est que projection sur soi des problèmes de l'autre. Par suite l'aide consentie au prochain est jusqu'à une certaine limite (qui commence lorsque l'aide requise exige de faire un gros effort) une marque de l'égocentrisme qui caractérise l'humain en tant qu'être vivant, incapable d'être à la fois lui-même et un autre. La solidarité possède une connotation positive car elle a toujours permls à l'homme de résister à des tyrannies justement considérées comme telles après coup, mais elle est en fait amorale, c'est-à-dire qu'elle permet à n'importe quel groupe de perdurer, quelles que soient ses convictions morales. L'immoralité vient contrecarrer la solidarité même quand celle-ci est installée car l'immoralité est par nature source d'instabilité, mais on ne peut pas dire que la solidarité est d'office morale. Disons qu'un groupe possédant des tendances vertueuses verra sa solidarité fortifiée.

Inversement, les autres corps de métier se sentiront solidairement injustement traités si une corporation parvient à obtenir des privilèges. Je vois donc l'expression d'une grande part de jalousie dans cette dénonciation des élites, qui ne forment qu'une communauté supplémentaire.

En résumé : pourquoi accuser les élites de vouloir à toute force donner la meilleure vie à leurs enfants sans tenir compte des problèmes que cela pose aux autres, sachant que les parents des classes moyennes et défavorisées font ou feraient exactement la même chose, tout le monde agissant par communautarisme ? 

Par ailleurs, l'étroitesse d'esprit n'étant pas le monopole de la "France d'en bas", les élites ont du mal à comprendre les motivations qui animent les Français parce qu'ils jugent évidentes les solutions qu'ils apportent, disposant d'informations différentes et d'une formation autre pour les appréhender. Ce genre de défaut est courant dans toute entreprise et dans n'importe quel service public : quelqu'un demande à son subordonné de remplir telle ou telle tâche, et le subordonné n'arrive pas à la remplir correctement, parce qu'il ne connaît pas le raisonnement qui se cache derrière l'ordre. Dans l'autre sens, un subordonné essaiera de convaincre son supérieur en vain si ce dernier n'a qu'une faible idée de ce que lui raconte le subordonné, qui lui parle en connaissance de cause de ce qu'il rencontre tous les jours dans son travail.

La méfiance des Français vis-à-vis de leurs "élites" est normale et salutaire, mais seulement si chacun fait un effort pour essayer de comprendre la logique de son voisin. Se pose alors un délicat problème de représentation : le député est là pour pallier le manque de connaissances du peuple dans les affaires de l'Etat. Malheureusement, les députés font partie de l'élite. Par conséquent, les Français, à chaque fois qu'ils se trouvent contrariés, postulent qu'ils sont exploités. Ils court-circuitent le député, indigne de confiance puisqu'il fait partie de l'élite, et descendent dans la rue. Beaucoup de bruit (et de pertes économiques) souvent pour rien.

En conséquence, je pense qu'il faudrait arrêter de parler des élites comme de personnes plus méprisantes que les autres, et que la gauche devrait cesser de nous rabâcher que la "France d'en haut" est une méchante partie des Français qui méprise la "France d'en bas", parce que le contraire est également vrai. Mon opinion est que les termes "France d'en haut" et "France d'en bas" sont les supports stupides de raisonnements simplistes et en particulier manichéens.

Dernier problème : comment faire jaillir d'une école au niveau plus faible les génies potentiels toujours présents ? Sûrement pas en entretenant les enfants dans l'attitude qui est fréquemment la leur : celle de vouloir descendre par jalousie les meilleurs, au lieu de faire leur possible pour les rejoindre (pfff, trop fatigant !). Et à mon avis, l'Education Nationale n'y est pour rien là-dedans. C'est tout simplement le communautarisme de la bande des élèves médiocres (les cancres) ou des élèves moyens. Comme quoi je ne disais pas par hasard que le communautarisme commence à l'école. 

 

Publié dans reveurpro

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W
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