Fins tragiques : Callas, Donizetti, Bellini, Mozart

Publié le par Sarastro

L'histoire de l'opéra, comme toutes les autres histoires, contient les fins tragiques de personnages remarquables, comme si les opéras tragiques empiétaient sur la vie de leurs compositeurs et interprètes.

La vie de Callas a été très difficile, et ce depuis son enfance. Il est intéressant de mettre en rapport ce simple constat avec sa carrière. Durant ladite carrière, assez courte il est vrai, elle n'a pas abordé beaucoup de rôles comiques (en fait, principalement "Il Barbiere di Siviglia" et "Il Turco in Italia", tous deux de Rossini). Bien sûr, sa voix était parfaitement adaptée aux rôles dramatiques lourds, mais ses apparitions dans les deux opéras précédemment cités ou encore dans I Puritani et La Sonnambula montrent bien qu'elle pouvait sans problème incarner une héroïne gaie ou insouciante ("Una voce poco fa", "Non si da follia maggiore", "Son vergin vezzosa" ou "Ah ! non giunge uman pensiero" en sont des exemples brillants). Ses incarnations les plus célèbres ont donc été Traviata, Norma, et Tosca, la première étant éventuellement la plus joyeuse des trois, grâce à l'acte I...Le jeu d'actrice de Callas était excellent, il était peut-être largement inspiré de sa propre vie ?

Comme de nombreuses célébrités, Callas s'est rapidement trouvée en première page des journaux à scandale, notamment lors de l'annulation d'une Norma à laquelle assistait le Président de la République italienne. Perfectionniste dans sa préparation des rôles, intransigeante avec elle-même et avec ses partenaires, elle est allée jusqu'à entreprendre un régime exigeant pour parfaire son image.

Je ne sais pas si Meneghini l'a épousée par amour ou parce qu'il avait flairé le début d'un gros filon. La tragédie dans la vie de Callas ne commence pas avec ses démêlés amoureux, mais plutôt avec la modification de sa voix, vers 1955. Je ne connais pas très bien les tenants et les aboutissants de la modification de sa voix. Etait-ce un choix personnel, par exemple pour profiter de son étendue vocale, la conséquence néfaste du régime ou encore autre chose ? L'épisode Onassis fait ensuite de Callas une Adina ("la Sonnambula") malheureuse. Le moral de Callas devait par conséquent être très bas lorsqu'elle accepta de participer à des tournées avec Di Stefano, dont la voix n'était pas non plus au niveau de ses glorieuses années. Pourtant,  à voir la liste des dates où elle est apparue sur scène, on ne perçoit pas de manière très tranchée la différence entre la Callas triomphante, et la Callas déclinante. Le nombre de représentations reste élevé dans les années 1960.

 

George Prêtre était l'ami de Callas. Mais si Callas n'était pas restée à Paris, serait-elle morte plus tard, au lieu de disparaître en avatar de Tosca ? J'ai lu un document dont l'auteur tentait d'expliquer la fin parisienne de Callas. Tout comme Mozart en son temps (1781 pour être précis), Callas aurait été victime du Paris mondain où elle n'était pas à son aise. En plus, l'image d'une Callas seule à la fin de sa vie, écoutant inlassablement ses anciens enregistrements, comme si elle cherchait dans la suite de ces enregistrements l'explication du drame qu'aujourd'hui nous considérons, est pour le moins pathétique, dans le sens noble du terme. C'est une scène qui appelle la compassion, et même l'indignation dans une certaine mesure, comme une scène de folie muette.

 

J'ai parlé de scène pour décrire un épisode marquant de la vie de Callas. Cette notion apparaît très clairement dans la version filmée et romancée de la vie de Mozart par Forman ("Amadeus"). Là aussi, c'est au crépuscule de sa vie ("Al tramonto è la sua vita, e d'aita te cerco...", Maria Stuarda de Donizetti) que Mozart a recours aux services de son ennemi pour parachever son oeuvre. Totalement imaginaire (comme dans Maria Stuarda, où les deux reines rivales se rencontrent alors que rien n'indique dans la grande Histoire que ce fût le cas), cette rencontre caractérise la scène la plus poignante du film, donc de la vie de ce Mozart fantasmatique.

Si on cherche à nouveau une scène paroxystique dans la vie de Donizetti, on pourra penser à la rencontre entre le compositeur bergamasque et Duprez, le célèbre ténor, alors que Donizetti était enfermé dans un asile. Duprez aurait commencé à interpréter l'air d'Edgardo "Tu che a Dio" de Lucia di Lammermoor, et Donizetti, en voulant l'acompagner au piano, se serait effondré en chemin - En aparté, cette histoire me rappelle celle de Steinitz, le premier champion du monde d'échecs, qui fut interné en asile psychiatrique après avoir prétendu être capable de télephoner à Dieu ; rétabli, il sortit de l'asile en proclamant que "les médecins [étaient] plus fous que lui", avant de finir sa vie dans le même endroit pour avoir défié Dieu aux échecs en lui donnant l'avantage d'un pion et du trait (!!!), c'est-à-dire le droit de commencer en choisissant de jouer avec les pièces blanches. Donizetti avait déjà composé plus de 70 opéras en 28 ans lorsqu'il est mort à l'âge de 51 ans.

Toujours dans une logique de scène, il suffit de sortir un peu du champ des compositeurs d'opéras pour trouver un épisode aussi saisissant. Je veux parler de Beethoven, qui ne peut être qualifié de compositeur d'opéra au même titre que Mozart, Bellini ou Donizetti bien qu'il en ait composé un ("Fidelio"), mais qui ne pouvait entendre les applaudissements au soir de sa vie, lorsqu'on exécuta en sa présence sa Neuvième Symphonie. Il fallait montrer le public applaudissant au compositeur désormais incapable de suivre les partitions pour lui faire comprendre qu'il était acclamé.

Le cas de Bellini est légèrement différent.

Car il est possible d'enchâsser sa vie dans un drame qui tient probablement de la légende, mais qui n'en est pas moins émouvant : Bellini aurait promis dans sa jeunesse, alors qu'il n'était pas très riche, à une demoiselle de l'épouser après son dixième opéra. Le temps passa, et Bellini aurait renoncé à cet amour aveugle. Ce qui est troublant, c'est que Bellini est mort à 35 ans, après avoir composé son dixième opéra, I Puritani, dans lequel une fiancée se croit abandonnée par son futur époux Arturo avant qu'il ne lui soit rendu, lorsqu'elle se rend compte qu'elle a été victime de la mauvaise foi d'un rival jaloux d'Arturo.

A toutes ces histoires, ajoutons celle de Bizet, que l'insuccès premier de Carmen aurait tué, avant que Carmen ne devienne l'un des opéras les plus célèbres du monde.

Dans tous ces récits, je crois qu'il y a matière à un ou deux films, voire à des opéras. Ce qui permettrait de rendre hommage à des personnes qui ont tellement fait pour le bonheur des amateurs d'opéra.

Je pense que les récits qui tiennent le mieux la corde sont ceux de Callas et Bellini. La fin de Callas, en particulier, est d'autant plus poignante que la Divina est morte très seule.

Publié dans reveurpro

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A
<br /> <br /> Bonjour,<br /> <br /> <br /> J'ai lu votre article avec grand intérêt. En effet la fin tragique de nombreuses personnalités du milieu artistique peut séduire notre imagination. Et vous avez raison de conclure avec<br /> Callas et Bellini, car le rapprochement de leur destiné est troublant. En effet tous deux sont morts tragiquement, exhilés involontaires à la recherche d'une paix intérieure dans une ville qui ne<br /> leur convenait pas vraiment, et dont ils se sont tous deux sentis exclus. De plus comment ne pas imaginer une possible interconnexion entre ces deux monstres sacrés du bel canto, Callas ayant été<br /> à mon avis la seule artiste lyrique qui ait su comprendre Bellini, un musicien complexe que seule une sensibilité hors du commun parviendrait à en déchiffrer le sens.<br /> <br /> <br /> Pour ce qui concerne l'amour de Bellini pour Maddalena Fumaroli il a bien existé. Une passion qui n'a pu aboutir à cause du refus inconditionnel du père de la jeune fille. Ce qui est troublant là<br /> aussi, c'est que Maddalena est restée fidèle à Bellini, et finalement comme aurait pu le faire une de ces héroines romantiques, est morte de l'avoir trop attendu au moment même où celui-là<br /> s'attelait à sa dernière composition. Florimo, l'ami et fidèle confident de Bellini resté à Naples, ne l'en avertira que peu de temps avant sa mort.<br /> <br /> <br /> Cordialement<br /> <br /> <br /> <br />
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